Ces deux versions de la plume proposées par le couple impérial se montrent loquaces quand le principe est admis. Ainsi, sur l'Impératrice, la toute première apparition des ailes d'oiseau, le personnage semble tenir son sceptre comme un stylo d'une main et de l'autre touche les plumes de l'oiseau. Il y a sans aucun doute référence là à une manipulation de plumes. Dans ce cas, on pourrait considérer que l'Impératrice tient deux plumes en main, une au sens propre (oiseau figuré), l'autre au sens figuré (la plume qui écrit). Ne manipulerait-elle pas de cette façon les sens de la plume, et même le double sens dans l'écrit (la plume) ?

Avec l'Empereur, la plume n'est plus retenue par l'être. Le contact avec la main est rompu (la main de l'Empereur tenant le sceptre ne semble pas destinée à écrire, la manière de tenir l'instrument laisse présager d'autres ambitions). La plume n'est plus en contact avec l'être que par la pointe du talon. D'une part, on remarque que l'évolution de la plume figurée va vers une séparation du contact avec l'humain comme si elle cherchait à s'écarter de "l'être qui l'accompagne", "de lettres qui l'accompagnent", avant de pouvoir réellement prendre son envol (avec l'Etoile et le Monde). D'autre part, on remarque également que tout est à nouveau fait "pour rapprocher l'écrit de l'oiseau", "pour approcher les cris de l'oiseau", pour rallier (et pour allier) la plume à l'écrit.

Cette fois, ce n'est plus l'instrument d'écriture qui est la base du rapprochement, mais l'écrit lui-même. Ainsi, on observe que la place au sol de l'oiseau en contact par le pied, voir le talon de l'être, est déjà en soi une référence à la case de lettres des arcanes. Parce que cette dernière est au sol, mais aussi parce qu'elle constitue le pied de l'arcane, et même le talon de la lame.

Avec cette lame, ce n'est plus l'être qui est doublement en contact avec la plume, mais bien plutôt la plume qui est doublement en contact avec l'être. Puisque ce sont les pieds et non plus les mains qui sont maintenant concernés dans le contact entre l'être et la plume, on a alors à faire, non plus à une manipulation comme avec l'Impératrice, mais à une démarche, en l'occurrence sur les sens de lettres.

De même, si le contact de l'aile avec le pied qui a quitté le sol, semble vouloir dire que l'être peut s'élever (par la lecture en langue des oiseaux), la queue qui disparaît derrière les lettres, démontre bien que la finalité de la plume est derrière l'écrit, celui-ci masquant la fin de l'être (l'aigle).

L'aigle, l'être de plumes, qui masque par le haut une partie de l'être dont lettres lui cache la partie du bas (l'Empereur), visiblement la mise en scène insiste sur d'intimes rapports dans les contacts entre différentes formes de l'être et entre haut et bas (distinction opérée également dans la suite numérique des arcanes, avec l'Impératrice et l'Empereur, successivement des plumes en mains et en pieds). Figure destiné à être reconnue sur un blason, l'aigle réputé pour sa vue perçante, n'est-il pas ainsi une incitation à percer les secrets de la mise en scène, une invitation à voir les jeux de lettres derrière la disposition de l'être ?

Cette finalité derrière l'écrit et cette imbrication de l'être et la plume va bien plus loin car "l'Empereur" porte réellement en lui la plume par l'anagramme "plume erre". Cette plume, que l'on peut entendre comme "plume air" (l'air des plumes, le chant des oiseaux) erre certainement à la recherche des sens comme nous l'apprendra l'ami "Pie erre haut" issu d'un autre air très en rapport avec le langage de la plume.

Bien au delà des apparences, avec ces deux premières visions d'ailes dans le Tarot de Marseille, nous sommes en plein dans la langue des oiseaux, double version des paroles, "double visage en lettres", menant à l'empire des sens. Nous connaissons aussi deux principes dans la lecture et l'entendement du Tarot de Marseille : une manipulation sur les sens de la plume et une démarche sur les sens de lettres.