A une époque où les livres étaient rares, volumineux et coûteux, il n'était pas question de sillonner les routes (à l'image du Bateleur, forain itinérant) avec tout un ensemble d'encyclopédies, mais cependant le Savoir devait être transmis. Aussi a-t-on développé d'autres moyens que le support littéralement écrit pour véhiculer les connaissances, moyen connu sous le nom de Art de la mémoire.

Ce système permettait ainsi de conserver l'essentiel ("l'essence ciel" ou "les sens, si ailes", selon la langue des oiseaux) des informations par une gymnastique de l'esprit et le respect de certaines règles. Parmi celles-ci, on peut citer le choix d'un ordre, et l'utilisation d'images inhabituelles pour se remémorer les choses. On se rend alors compte que le Tarot est une forme d'Art de la mémoire (images inhabituelles numérotées et classées).

Dans le même ordre d'idées, on évoquera le rébus, jeu de l'esprit proche de la langue des oiseaux et consistant à déchiffrer des images énigmatiques. Outre que le rébus faisait partie des moyens de transmissions alchimiques, on rapprochera surtout les images énigmatiques des énigmes posées par les images du Tarot. Enfin, on citera aussi l'art de la Bordure et du Grimoire, procédés littéraires de maquillage du sens des mots, pour un tour d'horizon complet des inventions ésotériques.

Le Tarot a fait sien tous ces systèmes de codifications. Discours aux racines alchimiques certaines, il est, à la fois, ensemble de rébus, Art de la Mémoire et "ça voir" codé. De par son approche picturale et sa présentation au couvert de cartes à jouer, c'est un vecteur de la connaissance facile à "transporter", "transes porter". Il remplit en cela son rôle de "transmission", "transes mission", des traditions orales et du se crée.

En résumé, si l'on peut dire que "le Tarot contient de 22 lames ses leçons", il semble bien qu'il nous faille surtout entendre "le Tarot qu'on tient, devin de lames, c'est le son". Ou en d'autres termes, que l'apprentissage du Tarot (le fait de le tenir en main, le Tarot qu'on tient), pour le Tarologue (devin de lames), passe par le son, que le décryptage de cet art de la mémoire fait intervenir rébus et langue des oiseaux.

Il découle de ceci qu'une lame de Tarot ne peut être en aucune manière modifiée, l'ensemble des éléments la composant (lettres, nombres, et les dessins jusqu'aux plus petits détails) devant être lu tel quel pour permettre l'initiation. Nous verrons dans notre étude du Tarot de Marseille que la langue des oiseaux s'exprime aussi bien par la case de lettres que par les dessins ou parfois le nombre (notamment avec deux références au culte, le Pape, "Saint qui aime enseignement", et l'Hermite qui, sur le 9ème arcane, fait du neuf avec du vieux).

Si la reproduction de l'écrit dans la case du haut et du bas ne pose aucun problème, on peut supposer par contre que la reproduction des dessins doit être extrêmement pointilleuse, pour qu'aucuns messages ne se perdent. On touche là un des secrets dans l'élaboration du Tarot de Marseille. En effet, pour perpétuer une tradition et un savoir, le Tarot aurait été dessiné sur ordres, chacun de ceux-ci étant à la fois une description de la carte et un enseignement initiatique.

L'alchimie des mots opérée par la langue des oiseaux, permet de cette manière au Savoir de s'affirmer... même sans le savoir ou le "ça voir"! La grande force du Tarot est alors de pouvoir être transmis y compris en l'absence de support. La mnémotechnie qu'il intègre par le double sens permet sans mal de se rappeler l'essentiel. Le maître dépossédé de son jeu de Tarot, sera quand même en mesure de véhiculer le savoir, car il sait comment ordonner (donner les ordres) les dessins (et il connaît bien sûr par cœur les nombres et les noms des arcanes, seules données qui lui soient indispensables pour organiser son art de la mémoire).

Pour le faire dessiner à celui qui à son tour devra peut-être le transmettre, il emploiera des phrases ou chaque mot sera porteur d'un double sens dans le son. Décrire et faire écrire les arcanes, devient alors pour le maître le moyen d'initier son élève à un discours dont la teneur et le volume sont dignes des plus grandes encyclopédies, de simples détails permettant de retrouver toute une mémoire, la simple vision des choses réveillant un invisible pourtant évident.