"Pour l'âme, hourdes d'yeux"

Ce vers de conclusion termine les enseignements. "Pour l'âme" signifie, pour comprendre l'âme de la chanson, le pourquoi des vers. Avec cette apparition de l'âme, nous voici en présence d'un nouveau point commun avec le Tarot, qui ont le sait est un jeu de lames.

"Hourdes d'yeux", est une invitation impérative à hourder avec les yeux. Hourder signifie garnir de hourds, et un hourd désigne "une palissade. Une estrade pour les spectateurs d'un tournoi ; une scène de théâtre en charpente".

En premier lieu, le hourd se montre en rapport avec l'observation, le spectacle. Assister à un tournoi, ne serait ce pas aussi une allusion au fait de voir ce qui tournoie, comme les oiseaux autour d'une proie (la proie étant ici les sens). Théâtres ou tournois, le spectateur sur le hourd observe certaines formes des "jeux de l'être" (jeu de l'acteur dans le théâtre, jeu contre l'autre dans le tournoi).

Ensuite, estrade, le hourd est à ce titre un support qui élève. Or, on le sait, l'élévation dans le "ça voir", l'entendement au-dessus des apparences de lettres (l'air haut), sont des conditions indispensables à la langue des oiseaux. Qui plus est, en tant que simple support (estrade), le hourd est tout aussi parlant. Le support qui élève, c'est évidemment l'air de la chanson, comme support à un entendement officieux et initiatique.

"Hourdes d'yeux" est alors une simple incitation à voir ce montage (estrade) par une légère élévation. De plus, le hourd se définit comme support charpenté. Cela renvoie à la construction qui charpente des textes comme celui-ci, l'ossature, la trame sur laquelle se greffe un double sens. Cela nous rappelle également la charpente construite en lettres par le Marteau du Tarot de Marseille.

Le sens particulier que prend "hourd", en fortifications, va aussi dans ce sens d'une ossature solidement construite. En effet, le terme dénomme particulièrement "une charpente en encorbellement au sommet d'une tour, d'une muraille". La charpente est en hauteur ! Voilà qui ne nous étonne pas puisque nous savons que le haut inspire le double sens. Sur ce genre de hourd, installé pour surveiller, la vue est portée au plus haut point. Nous sommes encore dans une forme d'élévation du regard.

Des sentinelles en rapport avec une certaine hauteur, voilà qui nous rappelle les "oies haut" comme gardiennes du "se crée". Avec la langue des oiseaux, nous sommes bien dans le cadre d'un regard élevé et perçant (comme l'aigle), surveillant la création des sens. Du reste, on peut dire de la sentinelle sur le hourd qu'elle "erre haut" ou encore qu'elle "épie air haut", devenant ainsi notre ami qui "est pie héraut", lui aussi en hauteur.

Outre que le texte apparaît, avec ce verbe, fortement fortifié dans les sens, l'idée de fortification est aussi éloquente quant à la symbolique. Elle nous indique qu'il y a quelque chose à défendre, à sauvegarder. Le chant devient camp retranché du "se crée". Nombreux sont ceux qui dans cette lecture découvriront le verbe "hourder", car il est vrai que l'édification de fortifications n'est pas une des occupations les plus courantes de nos temps modernes et qu'il y a peu de raison de le connaître. Aussi auront-ils peut être tendance à le juger infondé.

Ce serai méconnaître son utilisation variée et répandue, en ancien français. Au figuré, le verbe pouvait aussi signifier : "Charger, garnir, se charger de". Des charges nous en connaissons au moins deux dans le texte, celle du "clerc obscur", et celle de "l'ami pie héraut". A nos yeux hourdés, l'air apparaît garni de charges, et même charger de garnir en sens ! Visiblement, en haut de cette palissade, les sens de la plume errent haut pour se compléter les uns les autres.

Pour conclure, on notera qu'on peut conserver le vers dans sa version classique. "Pour l'amour de Dieu", nous démontre bien alors l'inspiration divine dont fait preuve "l'amie pie air haut". Surtout, ce vers final qui fait référence au divin n'est pas sans nous évoquer l'arcane final du nombre, le Monde, la 21ème lame et la dernière apparition d'oiseau.

En effet, les trois auréoles qui parent les créatures autour de l'être mis à nu sur le Monde, sont autant de références au divin, d'autant plus que ce sont les seules auréoles du Tarot. Sans compter que nombre d'auteurs ont déjà relevé la forte similitude dans la mise en scène, entre l'être en gloire du Monde et les représentations symboliques du Christ entouré des 4 évangélistes, notamment celle figurant à l'entrée de la cathédrale de Chartres.

A n'en pas douter, le Monde est bien une lame "pour l'amour de Dieu", et aussi "pour l'âme, hourdes d'yeux", puisque nous savons qu'elle nous présente l'oiseau le plus élevé, la vue achevée. Dans la chanson, transparaît alors la Lune du Tarot dans le premier vers (haut du couplet) et le Monde du Tarot dans le dernier (bas du couplet). De haut en bas du couplet, le couple Monde-Lune s'éclaircit mutuellement par un mélange entre lettres au sol (version officielle) et lettres en l'air (versions officieuses). Partant de l'obscur inconnu (la Lune), progressivement l'air nous amène vers un Monde connu. Ces deux noms d'astres qui sont directement issu de notre proche environnement cosmique, nous indique aussi un cosmique proche (la Lune), capable de prendre vie autour de l'être (le Monde), un Monde du Haut, qui finit par se voir en bas.

Tous les ingrédients nécessaire à la compréhension et à l'application de la langue des oiseaux, plus une belle illustration du double sens en lettres (cela concerne quand même huit vers, l'exercice de style n'est pas des moindres) sont donc présents dans cet air connu.

On ne peut que reconnaître derrière le chant, une œuvre inspiré pour un "ça voir se crée", un blason aux armes de la plume nous dirait notre connaissance, l'ami pie héraut. A posteriori, le double sens issu de la lecture s'accorde entièrement avec la symbolique du clair de lune. En effet, la Lune est associée au rêve et à l'imagination. Le clair de Lune en tête dans la chanson (mentionnée dès le premier vers) annonce alors un rêve clair, une obscurité en tête qui s'éclaircit dès le départ (le clair annoncé avant tout), un travail d'imagination qui rend la lumière.

De même, on ne s'étonne plus d'un intime rapport entre la nuit et les plumes, lorsque l'on sait que "les plumes" désignent aussi "le lit" (sens attesté dès 1635). Enfin, la nuit, royaume des ombres, induit une transformation des formes, une perception plus subjective de l'environnement. Avec le double sens dans la chanson, nous sommes bien en présence d'une vie dans l'ombre et d'une transformation des formes de lettres.

Avec la langue des oiseaux, la perception se fait selon l'imagination, l'exploration de l'obscur, et non plus selon ce qui apparaît en plein jour. On comprend maintenant pleinement pourquoi le clair de la Lune, sous couvert d'un air initiateur et d'une initiation par l'air a été choisi pour transmettre une telle proclamation solennelle des principes de la méthode.