Le nom même du procédé, "langue des oiseaux", est aussi richement porteur de sens dans la symbolique. Les oiseaux, tout comme le son, ne sont pas tributaires d'un attachement au sol. D'une certaine façon ils échappent à la pesanteur. On ne s'étonnera donc pas de la liberté retrouvée par la pratique de leur langue, moyen de s'évader de la pesanteur des écrits, des contraintes par corps de lettres, pour rejoindre les sens en hauteur.La parabole des oiseaux va bien plus loin si l'on s'intéresse particulièrement à certains d'entre eux.

Ainsi de l'aigle qui voit de très haut de très petites choses. La langue des oiseaux est celle de tous les oiseaux, y compris celle de l'aigle (visible par trois fois dans les arcanes majeurs). On en déduira alors qu'elle permet le même type de vue perçante (ici, la vision élevée perce le "se crée") ; plus l'entendement des sens s'élève, plus les petites choses cachées derrière la réalité s'organisent, plus l'apparemment invisible devient visible au delà des apparences.

De même, la langue des oiseaux, c'est aussi le langage des oiseaux migrateurs. Ces derniers se souviennent des endroits les plus propices à leur épanouissement et connaissent le chemin pour y retourner. Ce qui est une manière de posséder un Savoir sur des lieux hors du commun et de connaître la route pour accomplir son destin. Pour les oisillons, ces connaissances s'acquièrent par l'initiation avec ceux qui ont déjà voyagé, par la mémoire du groupe. Initiation aux destinées, mémoire transmise, ces caractéristiques des oiseaux du voyage s'accordent parfaitement avec le principe d'une cryptographie du Savoir derrière la symbolique du langage utilisé.

Enfin, dernier exemple parlant, la chauve-souris, qui, si elle n'est pas réellement un oiseau n'en est pas moins pourvue d'ailes. Avec elle, la langue des oiseaux devient ultrason, littéralement "au delà" du son, soit en l'occurrence pour celui qui pratique la langue des oiseaux, l'au-delà du son écrit, l'au-delà de la lecture immédiate.
La maîtrise du son par ces oiseaux de l'obscur est telle que l'on nomme certains d'eux "oreillard", terme signifiant également, selon le Petit Robert : "qui à les oreilles d'une longueur démesurée". En ce qui nous concerne, cela évoquera la longueur d'onde à apporter à l'entendement (l'oreille). Cette dernière est démesurée, tout simplement parce qu'elle est séparée des lettres, la mesure du son dans l'écrit.
Surtout, cette pratique des ultrasons pour éclairer sa route dans le noir qu'effectue la chauve-souris, semble bien correspondre avec le travail de décodage par la langue des oiseaux. La méthode ne fait, en effet, qu'éclairer la route de l'initié pour, derrière l'écrit obscur, aller "au delà" des sons, et même connaître le son de l'au-delà. Qui plus est, à l'image des ultrasons, le moyen utilisé est invisible (au delà de lettres) et théoriquement inaudible (dit sans les mots)...sauf pour les initiés (les oreillards, ceux qui entendent sans mesure ce qui est dit). On comprend mieux qu'avec la langue des oiseaux, on est dans l'obscur en l'être, une perceptions plus large des fréquences.

Au demeurant, le fait d'éclairer sa route, de percer l'obscur, n'est pas étranger au Tarot, lui qui met en scène dans le 9ème arcane, l'Hermite, un vieillard en marche une lanterne à la main. Cette lanterne semble nous signifier que nous sommes dans le noir, à la manière de la chauve-souris, surtout, elle apparaît bien comme un ultrason, elle qui nous éclaire sur "l'allant terne" du personnage, son allure grise et vieillie, son pas "lent, terne". Cette lumière, comme l'ultrason, s'entend bien au-delà du son apparent, de son apparence.
De plus, le Tarot de Marseille semble délibérément nous présenter l'Hermite comme une certaine forme de chauve.En effet, ses cheveux sont couleur chair, donc couleur de la peau, n'est-ce pas une façon de nous présenter le personnage comme chauve, ou autrement dit comme "déplumé" ? Il aurait alors ce point commun avec la chauve-souris, oiseau privé de plume.Toujours est-il, qu'à ce coté chauve, la plausible lecture de l'Hermite en l'Hermine ajoute au personnage un autre coté tenant cette fois de la souris (Hermine, du latin "arménius" "rat d'Arménie"). En outre, si la lanterne de l'Hermite suggère une certaine obscurité, cette pénombre se retrouvera dans la deuxième forme du 9, la Lune (18ème arcane, 1+8 =9 voir les deux arcanes, ce point commun entre les deux lames est développé dans le Tarot du nombre). Apparemment avec le personnage (et la logique du "neuf"), nous sommes bien dans la nuit, royaume de la chauve-souris.

Elévation, orientation, vision, voilà ce que nous apprennent quelques unes des créatures naturellement initiées à la langue des oiseaux et que reprend "l'air mythe en jeu", voilà sans doute ce qu'ont voulu traduire les créateurs du Tarot de Marseille en en faisant un langage utile au jeu.